Fatima et la passion de l’Église

Pour certains catholiques, la célébration du centenaire Fatima semble l’occasion d’enterrer, telle une vieillerie appartenant à un passé révolu, les messages et avertissements délivrés par Notre-Dame et regardés comme accomplis à la suite de l’attentat contre Jean-Paul II.

Une interprétation que Benoît XVI a pourtant remise en cause dans un courrier privé adressé à l’historien Yves Chiron et publié dans le dernier ouvrage de celui-ci (Fatima, Artège, 2017). Si le pape émérite y réfute l’existence d’un « quatrième secret », ou un troisième secret partiellement tronqué, il a tenu à souligner que les menaces prophétisées en 1917, sont toujours, voire plus que jamais, d’actualité. C’est précisément ce que démontre Cristina Siccardi dans Fatima et la passion de l’Église, récemment traduit en français (Le drapeau blanc, 275 pages, 21,50 €).

Les événements qui se déroulèrent à la Cova da Iria, au Portugal, entre 1916 et 1917, puis plus tard en Espagne, lors de révélations privées à Sœur Lucie, la dernière voyante, ne clôturent évidemment pas les apparitions mariales ; l’attestent entre autres celles de l’Ile-Bouchard, en France, en 1947. Cependant, et tous ceux qui se sont penchés sur Fatima le comprennent, les mariophanies portugaises revêtent une importance particulière.

La France post-révolutionnaire a vu se succéder, officiellement reconnues ou pas, au cours du XIXe siècle, les apparitions de Scey en 1802, de la rue du Bac à Paris en 1830, de La Salette en 1846, de Lourdes en 1858, de Pontmain en 1871, d’autres encore. Il serait faux de dire qu’elle y est restée sourde, en atteste l’extraordinaire réveil du catholicisme français en ces décennies qui donna à l’Église tant de vocations, de saints et de martyrs. Cependant, si le peuple croyant a répondu aux pressants appels du Ciel, ses dirigeants ne l’on pas imité et la France officielle, pour le malheur commun, s’est enfoncée dans son apostasie contagieuse qui s’est étendue au reste de l’Europe.

Le Portugal, que la franc-maçonnerie gangrène depuis l’époque de Pombal, est à son tour en proie aux secousses révolutionnaires et à la persécution antireligieuse. Encore quelques mois et ce sera le tour de la Russie des Romanov de tomber au pouvoir des puissances mauvaises. Tout cela, le Ciel l’a prévu, annoncé, et même fourni les remèdes à opposer à ce déferlement de haine. Déjà, en 1689, le Sacré Cœur avait demandé à Louis XIV de lui consacrer la France, ce qui protégerait la dynastie et le royaume contre tous ses ennemis.

Ni le roi ni ses successeurs, Louis XV puis Louis XVI, sinon lorsqu’il a été trop tard, n’ont obéi à ces demandes. Ils l’on payé au prix fort. A Fatima, il s’agit désormais d’enrayer la contagion au reste du monde, en rendant universel le remède, en l’occurrence la consécration de la Russie, mais aussi de toutes les nations, au Cœur immaculé de Marie. Seule l’obéissance prompte et entière aux vœux divins est susceptible d’enrayer la catastrophe et d’éviter les châtiments qui l’accompagneront.

Comment et pourquoi ces demandes, en apparence si simples à satisfaire, n’ont pas été exaucées, cette fois non plus par une puissance civile mais par les souverains pontifes successifs, Cristina Siccardi l’analyse très finement, soulignant combien elles intervinrent en un moment critique où l’Église, jusque dans ses plus hautes instances, était en train de céder à l’illusion du compromis mondain avec les forces révolutionnaires. Cela, on le sait déjà, même si l’entendre redire avec intelligence et précision est toujours utile.

Ce que l’on sait moins, en tout cas en France, c’est que la crise, et les événements de Fatima, furent annoncés de très longue date par des mystiques et des âmes privilégiés, car, loin d’être un épisode annexe, ainsi qu’on nous le présente aujourd’hui, les apparitions de 1917 marquent un tournant essentiel dans l’histoire du Salut, ultime étape peut-être vers la Parousie, laquelle sera précédée, avant la survenue de l’Antéchrist, par le règne de Marie.

Avant saint Louis-Marie Grignon de Montfort, qui annonça la levée d’une armée mariale surgie pour ce combat décisif, une princesse de la Maison de Savoie, sœur Filippa, eut, à son lit de mort, la vision du rôle à venir de cette terre portugaise, avec laquelle sa dynastie était étroitement liée, puis en 1634, à Quito, une religieuse espagnole, sœur Mariana, messagère de Notre-Dame de Bon Succès, prophétisa, en des termes troublants tant ils s’avèrent précis, les crises qui se succéderaient à compter de la fin du XIXesiècle, éclairées par cette confidence de la Sainte Vierge : « en ce moment suprême de nécessité pour l’Église, ceux qui devraient parler se tairont ».

Cristina Siccardi rattache entre elles toutes ces mises en garde et invite, fermement, avec une foi, une espérance, une charité jamais prises en défaut, ses lecteurs à ne pas être, à leur tour, « en ce moment suprême de nécessité », du nombre de ceux qui se taisent. Quel que soit le prix à payer pour rester fidèle à la vérité.

Anne Bernet

Fonte: Correspondance Européenne

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